La contemplation aristotélicienne

Avec sa distinction entre poiesis (activité qui est faite en vue d'autre chose : production, travail, etc.) et praxis (activité qui est à elle-même sa propre fin : jeu, loisir, etc.), et en affirmant que la praxis est nécessairement (- logiquement -) supérieure à la poiesis, Aristote nous met bien dans l'embarras, nous autres esclaves du désir d'éternité. Car tout désir d'éternité n'est possible que par la poiesis : en effet, l'homme est éphémère. Le seul moyen de travailler pour l'éternité est donc de travailler pour autre que soi, de se transcender (vers l'espèce humaine, vers le monde des Idées, vers notre progéniture, etc.). Bref, produire, se faire l'esclave d'autre chose que nous-mêmes.

Il y a donc une tension : d'un côté la praxis est logiquement supérieure à toute poiesis ; d'un autre côté, si nous ne savons pas aimer l'éphémère mais désirons l'éternel, nous ne saurons être à nous-mêmes notre propre fin.

C'est l'éternel problème de l'homme et la source de sa misère. Contradiction entre l'être et le temps. C'est la source de l'ennui, du nihilisme, du pessimisme d'Héraclite : tout est vain car rien ne dure...

Le concept de "contemplation de la vérité" vient résoudre cette contradiction. Car la praxis érigée en idéal par Aristote est une praxis bien particulière : à savoir une activité qui consiste à contempler l'éternel, donc en quelque sorte à l'être, à s'identifier au divin qui est lui-même pure contemplation du Vrai.

Temporalité et éternité sont étroitement unies dans cette praxis insigne qu'est la contemplation de la vérité. Ainsi le conflit fondamental de l'homme est résolu. Il peut être à lui-même sa propre fin car il participe en quelque manière à l'éternité. Il peut être maître car il est éternel.


On retrouve cette union de l'homme à l'éternel chez Platon. Et aussi chez Spinoza, par la compréhension de Dieu (i.e. la Nature) et l'amour intellectuel du Tout qui en découle : il existe donc une pratique humaine, l'activité de l'entendement, qui est éternelle, et qui est le but suprême de l'éthique.

Affect (Spinoza)

Un affect, pour Spinoza, est toute affection (modification) qui modifie notre puissance d'agir. Car certaines affections ne modifient pas notre puissance d'agir.

Joie et tristesse sont des affects : une joie est une augmentation de notre puissance, une tristesse est une diminution de notre puissance.

Une passion est une affection (modification) de notre être qui vient de l'extérieur. Une action est une affection de notre être qui vient de lui-même.

Toute action est une joie, car nul ne nuit à soi-même. (Si on se suicide, c'est une passion.) La plupart des passions sont des tristesses, mais ce n'est pas toujours le cas : contrairement à ce que disent beaucoup de commentateurs, il y a des passions qui sont des joies. Par exemple, si on me guérit, ou si, alors que je me noie suite à un naufrage, la mer me rejette sur la plage. A chaque fois, le changement (affection) ne vient pas de moi, et pourtant il accroît ma puissance d'agir. Tout ce qui me modifie de l'extérieur ne me nuit pas nécessairement. Donc certaines passions sont des joies.

Finalement deux catégories de concepts coïncident : d'une part l'action, l'entendement, l'idée complète ; d'autre part la passion, l'imagination, l'idée incomplète.